Mettons-nous un instant dans la tête de François Hollande.
Le Premier ministre, et c’était sa première qualité, ne faisait pas d’ombre au président de la République.
Il ne l’inquiétait pas, il ne le concurrençait pas, il restait à sa place (la seconde) et appliquait les directives de son supérieur direct en subordonné loyal.
Il avait activement contribué avec ses services à la préparation et à la négociation du fameux et fumeux pacte de responsabilité où l’on nous invite à voir le grand œuvre du quinquennat.
Il semblait donc le plus indiqué pour le présenter et le faire passer devant le Parlement.
Enfin, tant qu’à faire d’aller au-devant d’un nouveau désastre électoral le 25 mai prochain, il était plus judicieux d’en faire subir les conséquences, allant jusqu’à son départ, à un gouvernement déjà au bout du rouleau plutôt qu’à un Premier ministre flambant neuf et pas encore cabossé.
La logique, la propension à l’immobilisme de François Hollande, l’allergie qu’on lui prête à toute forme de contrainte, l’affectivité enfin, si tant est que ce mot ait un sens chez les animaux à sang froid, tout cela semblait plaider pour le maintien, même provisoire, de Jean-Marc Ayrault à son poste.
Qu’est-ce qui a conduit le chef de l’État, allant contre son tempérament et son intérêt, à se séparer de Jean-Marc Ayrault et à entamer prématurément avec Manuel Valls, qui n’était pas son premier choix, une cohabitation que l’on prévoit déjà difficile et peut-être même orageuse ?
Mettons-nous un instant dans la tête de François Hollande.
L’échec de la majorité aux municipales, conforme à la tradition, était de longue date annoncé et intégré aux prévisions des analystes politiques.
Nul n’avait prévu l’ampleur du désastre, nul n’avait imaginé que leur bonne image, leur bonne gestion, leur légitimité ne protégeraient pas les notables locaux portant l’étiquette socialiste d’une vague de mécontentement nationale, ni que ce vote constituerait aussi évidemment la rupture et le désaveu par ses propres électeurs de l’homme qu’ils avaient porté au pouvoir moins de deux ans plus tôt.
Dans cette conjoncture, ni le Premier ministre ni son gouvernement usé jusqu’à la corde n’ont servi d’écran et de bouclier entre le Président et la colère du peuple.
Le fusible avait fondu.
Le citron était pressé.
Sans état d’âme, François Hollande a donc jeté son double désormais inutile à la poubelle en faisant preuve, au passage, de la même inélégance et de la même insensibilité qu’il avait déjà étalées lors de son divorce peu civil d’avec « Valérie Trierweiler ».
Il n’était pas dit, pour autant, que Manuel Valls avait sa préférence.
Mener sur une route défoncée un attelage où les deux cochers risquent de tirer à hue et à dia, et où le plus ancien et le plus gradé n’est pas certain de l’emporter à tous les coups, n’est pas une partie de plaisir.
En fait, le président de la République n’a pu résister aux pressions multiples et fortes exercées sur lui, pression des sondages, pression des médias, pression des amis persuadés que Jean-Marc Ayrault avait fait son temps, pression de l’intéressé et des alliés inattendus qu’il s’était faits au sein même du gouvernement.
Ce n’est pas de gaîté de cœur que François Hollande a tiré le nom qui s’imposait (ou qu’on lui imposait) du chapeau truqué qu’on lui tendait.
Mais en même temps qu’il s’inclinait, germait dans le cerveau tortueux du Président l’idée du bénéfice qu’il comptait tirer de l’opération.
La nomination de Manuel Valls peut être interprétée comme un signal politique.
En direction de la gauche remuante du Parti socialiste qui est mise devant l’alternative d’avaler cette énorme couleuvre ou de provoquer une crise débouchant sur des législatives qui, en l’état, ne peuvent qu’être calamiteuses.
En direction des écologistes à qui l’on rappelle qu’après tout, on peut se passer d’eux et qu’ils ont plus à perdre qu’à gagner à jouer les fortes têtes.
Mais surtout en direction de la droite parlementaire, qui ne peut qu’être sensible au discret appel du pied que constitue la promotion d’un adversaire des 35 heures, d’un authentique social-libéral qui juge anachronique l’appellation socialiste.
L’UMP, pour l’appeler par son nom, ne peut qu’approuver une politique qui tourne le dos au discours du Bourget et ne diffère guère de celle qu’elle mènerait elle-même.
Quant à François Hollande qu’obsède depuis le premier jour de son mandat la présidentielle de 2017, il compte bien que celle-ci se jouera entre Marine Le Pen et lui-même et que, pour éviter un 21 avril à l’envers, la droite se verra contrainte de faire avec lui front républicain.
Pour ce qui est de son nouveau Premier ministre, le président de la République caresse amoureusement deux hypothèses.
Ou, contre toute attente, Manuel Valls réussit et c’est le Président qui en touchera les dividendes.
Ou Manuel Valls échoue et le Président est débarrassé de son plus dangereux rival.
Il arrive que les plus habiles se prennent les pieds dans les tapis les plus délicatement tissés.
Car il n’est pas interdit de supposer que Manuel Valls cultive, lui aussi, quelques arrière-pensées, quelques projets et quelques scénarios où il tiendrait enfin le premier rôle.
À confier les clés de la maison à un homme qui a désormais le bras presque aussi long que les dents, le stratège de la rue du Faubourg-Saint-Honoré s’expose à la déconvenue.
L’histoire du cinéma et celle de la politique sont remplies d’arroseurs arrosés.
Dominique Jamet
http://www.bvoltaire.fr/ du 02/04/2014