Le congrès de la tentation.
Droit de vote des étrangers, réduction du nombre des parlementaires, changement du statut des langues régionales…
Ces réformes, et quelques autres, qui figuraient au programme du candidat Hollande, ne peuvent être adoptées, en vertu de la Constitution de 1958 – cette pauvre Constitution alourdie, enlaidie, truffée au fil des ans d’additions et de modifications qui sont autant d’excroissances malsaines -, que par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes ou par une votation du peuple tout entier.
Pourquoi n’y aura-t-il de référendum ni sur ces sujets ni sur aucun autre ?
Parce que le président le plus impopulaire de la Ve République sait parfaitement que, quelque proposition qu’il fît aux électeurs (fût-elle la plus raisonnable et la plus justifiée du monde), la réponse serait « non », un non qui n’irait pas à la question mais à celui qui la pose.
Les statuts du Parti socialiste stipulent, je le rappelais l’autre jour, que le candidat du parti à l’élection présidentielle est désigné par des primaires ouvertes.
Alors, pourquoi les dirigeants actuels du PS, qui vont être confirmés dans leurs fonctions par le Congrès de Poitiers, ont-ils d’ores et déjà annoncé, violant ces statuts tout neufs, qu’il n’y aurait pas de primaires ?
Pourquoi cette question qui, en temps normal, dans un parti normal et « a fortiori » dans une organisation qui se prétend la plus démocratique de notre paysage politique, devrait faire l’objet de débats passionnés hors du Congrès et devrait être le temps fort du Congrès, sera-t-elle écartée de son ordre du jour ?
Parce que l’ancien premier secrétaire du PS n’ignore pas que si sa candidature était soumise au vote des militants socialistes et des sympathisants de la gauche, elle serait, à l’heure actuelle, rejetée, et même massivement rejetée.
C’est bien pourquoi François Hollande, avec le soutien du gouvernement qu’il a nommé et de l’appareil qu’il contrôle, a tout fait depuis des mois pour endormir, pour engourdir, pour emmieller, pour décourager, pour neutraliser toute tentative d’ouvrir ce débat et toute émergence d’une concurrence loyale et non faussée.
C’est pourquoi il a tout fait, et avec succès, pour rassembler autour de lui, en excipant du caractère particulier, et quasiment sacré, que lui conférerait sa fonction, pour rassembler autour de lui, sur une motion attrape-tout, au nom de ce privilège et de la discipline, tous ceux qui auraient pu et dû lui faire de l’ombre, du maire de Lille à son Premier ministre.
Un sondage publié hier dans « Le Figaro » démontre à l’évidence à quel point le chef de l’État a eu raison pragmatiquement et tactiquement, et tort politiquement et moralement.
Aux termes de cette enquête d’opinion, 76 % des sympathisants du PS, donc des participants potentiels à une primaire, souhaiteraient qu’une primaire fût organisée. Dans cette hypothèse, ils seraient 42 %, contre 25 %, qui préféreraient Manuel Valls à François Hollande (si l’on étend la consultation à l’ensemble des Français, ils sont 7 % à soutenir la candidature du président et 25 % à souhaiter celle du Premier ministre).
À deux ans de la présidentielle, la droite, la gauche et le corps électoral sont confrontés à une situation inédite.
Les chefs naturels, les chefs officiels des deux grands partis « traditionnels » de gouvernement font l’objet, l’un d’un rejet massif, l’autre d’une réticence qui va croissant.
Toutes les enquêtes d’opinion convergent sur un point :
Les Français, contrairement aux intéressés, n’ont aucune envie de refaire le match, donc de voir s’affronter au second tour en 2017 Sarkozy et Hollande, celui qu’ils ne voulaient plus revoir, celui qu’ils ne peuvent plus voir.
Il faut bien convenir qu’une compétition où les principaux concurrents auraient nom, par exemple, Le Maire, Borloo et Valls ferait passer un courant d’air frais dans l’atmosphère viciée des écuries présidentielles.
Manuel Valls, qui devrait être présent pendant les trois jours du Congrès de Poitiers, dont il sera la vedette et le triomphateur, tiendra-t-il jusqu’au bout le bel et second rôle qu’il assume depuis son entrée à Matignon, celui du serviteur loyal, du grognard enchaîné par ses serments et par le respect de la discipline ?
Résistera-t-il indéfiniment à la tentation, bien humaine, de tirer les conséquences logiques de sa relative popularité,
et autour de lui le PS aura-t-il assez d’abnégation pour suivre jusqu’au bout le chef qui le conduit à une défaite inéluctable ?
Aller au casse-pipe avec François Hollande
ou miser sur l’outsider qui caracole à trois longueurs devant un vieux canasson, un cheval fourbu, bon pour la retraite ou l’abattoir,
c’est peut-être le véritable enjeu du Congrès de Poitiers.
La nature, on le sait, a l’horreur du bide.
Dominique Jamet
http://www.bvoltaire.fr/ du 06/06/2015